Tralalala ~ Moi je crame pas.

Il aurait préféré que la pluie dégouline sur sa toison ardente plutôt que ce ne soient les vapeurs volcaniques qui l’encerclent d’une écharpe audacieuse et félonne. Envahi par le souffle du titan cracheur de lave, le Brun aurait pu suffoquer en quelques secondes s’il n’était pas aussi prompt à réagir en utilisant ses connaissances en cas d’intrusion en terrain ennemi.
La solution était simple : il suffisait de ployer le cou.
Nullement gêné par cette attitude qui pourtant allait de pair au flemme du chien servile où à celle, plus discrète du pragmatique soumis qui n’osait lever les yeux, battant l’air brûlant d’un mouvement pendulaire de la queue, l’espion progressait en ces terres, l’œil aux aguets et les sens en alerte. Sous ses pattes, le sol pulsait rythmiquement, battant la cadence d’une mélopée terrestre jadis connue de tous, et qu’actuellement chacun s’était empressé d’oublier en ces jours funestes, troublé par les pluies incessantes de météorites. Oui, Il l’entendait, ce chant qui secouait la croûte rigide et poreuse, cette chanson sauvage et puissante qui émanait tout droit du cœur du la Terre. Lave devenue hémoglobine, sang filant dans les artères de leur Mère universelle, elle suintait du haut des cônes enduits de souffre et créait, lascive, de longs rubans où le pourpre se mêlait à l’or, où la joie se mélangeait à la peine.
Il l’Entendait.
Glissant avec souplesse contre la peau charnue de la Mère, le mâle se laissa envahir par la chaleur bienfaitrice, refusant le trop plein prématuré des degrés qui mordaient sa chair à pleine gueule. Il faisait chaud, trop chaud pour lui ; le brasier tout proche semblait l’outil idéal pour que le Brun se laisse cuire et se fondre à l’état liquide parmi le sang artériel qui s’écoulait avec lenteur sur les terres du Feu. Il se refusait pourtant à un abandon aussi précoce, et répudia la chaleur tout comme il le faisait du son, ignorant les décibels qui souvent torturaient ses oreilles si fragiles.
Tel un murmure fallacieux, un rat se glissa près de lui ; d’un coup de patte, il fut réduit au simple état de cadavre poilu. Hermétique, l’espion observa l’agonie cérébrale de l’animal, qui fuyait sans doute un danger que Wyard avait décidé d’ignorer, par pure vanité.
Il tourna alors la tête.
Opposant son toupet opaque aux deux perles d’ambre qui le fixaient intensément.

Derrière sa frange, Le Brun dévisagea l’Autre. Son odeur, bien que pervertie par le souffre qui s’infiltrait en fraudeur autonome, était sucrée et rappelait l’arôme lourd de ce liquide sirupeux qu’était le miel. Miel qui semblait clapoter allégrement dans les iris de la jouvencelle. Taille fine, hanches larges, échine ébouriffée et griffes élimées, elle était très certainement chasseuse et ne manifestait qu’un intérêt mesuré envers l’intrus qu’il était. Sans doute s’ennuyait-elle ; le manque de stimulations se chargeait du reste, et poussait l’instinct grégaire du plus misanthrope à mousser en surface. L’éloquence dont elle fit preuve refroidit nettement le mâle. En guise d’accueil, il aurait espéré mieux. Tout n’était pas perdu cependant : elle n’avait pas montré les crocs, lui laissant clairement le choix de définir leurs relations futures : amicales ou glaciales.
Il n’eut pas le temps d’y méditer.
Une boule de fourrure percuta la femelle avant qu’il n’aient le temps de réagir, et manqua de peu de l’emporter à son tour. Agacé, le Brun releva la tête d’un mouvement sec, plaqua ses oreilles en arrière et d’un mouvement fluide, s’éloigna de quelques foulées de la joute qui tournait court : la chasseuse, aussi corrosive que la lave, s’était chargée de refroidir l’importune.
Sage décision.
Il reconnut à l’odeur la louve chocolatée ; elle était, de toute évidence, du même clan de lui. Ternissait par la même occasion sa réputation. Avait-elle besoin de cannes ? Devait-il se charger de son éducation motrice ? A un âge tel que le sien, il était essentiel de contrôler ses mouvements. Rentrer dans les inconnus ne plaisait plus guère, une fois les premières dents de lait tombées.
Méfiant, il pointa une, puis deux oreilles vers les protagonistes.
Ne daignant pas prononcer un seul mot.
Pas encore.

Silencieux.
Les grondements du sol se chargeaient de répondre à sa place, le crépitement de la roche en fusion se vanta d’être ses cordes vocales. Tout vibrait autour du loup brun, alors que les deux femelles se chargeaient d’hausser le niveau sonore du lien déjà bruyant par sa simple existence. Figé, tel une statue en bois de cèdre, le mâle ne daignait bouger, n’accédant pas à la requête de ses muscles en apoptose.
Il attendait.
Quoi ? Lui-même l’ignorait. Se mouvoir ne semblait pas faire partie de ses préoccupations premières. Lentement, avec une mesure préméditée, il sortit ses griffes, devinant la terre rocailleuse sous ses coussinets, et l’écailla avec une patience infinie, les yeux ternis par un brouillard qu’il semblait seul à pouvoir percevoir.
Elles se défièrent du regard, puis s’ignorèrent.
Sa tête ne remua pas d’un iota, seule sa crinière ébouriffée oscillant au rythme des bouffées du géant magmatique. Encore une fois, Il préférait écouter la Terre et son ronronnement apaisant, plutôt que les injures proférées par les deux femelles, qu’il avait tout bonnement rayé de ses pensées, décimées de son champ de vision.
Jusqu’au calme qui suivrait la tempête.
Elles se séparèrent. Venimeuses et sous tension. Insensible, Wyard ouvrit lentement les paupières, cilla paresseusement, puis se dirigea vers celle qui semblait le moins joviale. La tempérance et le calme du caractère ne l’intéressaient pas : il prenait bien plus de plaisir à aplatir une colline qu’a bosseler une plaine.
Ses foulées silencieuses le menèrent vers Elle, qui pulsait encore d’une vanité qu’il reconnaissait, et savait apprécier. Plus grand, Wyard dut arquer légèrement l’encolure, afin d’effleurer les oreilles de l’Impatiente, contrastant avec le feu qui brûlait en elle comme le glaçon plongé dans du café en ébullition.
Tempérance.

« Un vagabond. »

Et il ne daigna lui offrir son nom.
Taquinant la chair veloutée du bout de son nez, il opposait son indécence à la jouvencelle comme un fait établi, provocant le contact comme un jeu qu’il créait à son gré puis détruisait à sa guise.
Il releva subitement la tête, et observa le vol d’un grand oiseau noir.
Présage.
Son regard revient sur la brune.
Sa réaction serait sans appel. Irritation, sournoiserie, fuite ?
Savait-elle faire preuve de mesure et d’ingéniosité ?
Il mourrait d’envie de le savoir.